9 secondes pour le poisson rouge, 8,25 secondes pour l’Homme 2.0 de 2013 ! Vous ne regarderez plus jamais votre poisson comme avant.
Selon une étude Microsoft de 2015, notre durée d’attention (définie comme l’aptitude à se concentrer sur une tâche sans aucune distraction de quelque nature que ce soit) serait inférieure à celle du poisson rouge. Ce dernier se serait-il hissé tout en haut de l’échelle de l’évolution sans que personne ne réagisse ? Reviens Darwin !
Au-delà du chiffre, dont l’exploitation hors de son contexte scientifique reste peu signifiante et réductrice à l’excès, une remarque du CEO de Microsoft, Satya Nadella, résume l’enjeu des années qui viennent : « La véritable ressource rare dans un futur proche sera l’attention humaine ». Voilà qui n’est pas sans rappeler ce temps de cerveau disponible que Patrick Le Lay entendait vendre à ses clients annonceurs, il n’y a pas loin de 15 ans.
Société connectée, infobésité, sur-sollicitations professionnelles et personnelles, notre vie de zappeur nous oblige à revoir nos modes de fonctionnement au travail comme en dehors. Le temps nous est compté. Et en matière de formation, l’enjeu est crucial. L’évolution des techniques, des modes de production impactent nos emplois et nous pousse à nous adapter, de façon continue, à de nouvelles conditions de travail pour rester compétitif. Dans ce contexte, le microlearning ou Nuggets learning en anglais, peut trouver sa place et apporter une réelle valeur ajoutée dans une stratégie globale de formation des collaborateurs. Mode d’emploi de ces micro-contenus à avaler partout, tout le temps mais surtout au moment le plus opportun.
1.
Pour faire COURT…
Le microlearning ou les nuggets learning (petit rappel de vocabulaire : en anglais, le terme « nuggets » signifie « pépites ») est une modalité de formation digitale composée de mini-modules de 30 secondes à 5 minutes environ. Ces modules peuvent contenir de la vidéo ou de l’audio, des textes courts, des quiz, des images. Il sont en principe indépendants les uns des autres et peuvent être visualisés, à tout moment, comme une capsule de savoir autonome.
Une définition en moins de 3’ de vidéo pour tenter d’y voir clair dans le concept :
La « mobiquité », contraction de mobile et ubiquité et son cri de guerre anglo-saxon, ATAWADAC (anytime, anywhere, any device, any content) désormais revendiqués par chacun, suppose un accès aux contenus, données, éléments de prise de décision en temps réel, sur tout appareil connecté. Nouveau paradigme de la consommation de savoirs ou de savoir-faire, la mobiquité assied le concept du just in time, promis depuis longtemps par le eLearning mais finalement peu accessible jusqu’à la pénétration massive des smartphones et tablettes dans nos vies.
Le mode de consommation de données s’en est trouvé radicalement modifié. Court, concis, essentiel sont devenus les maîtres mots de la production de contenus. Le microlearning peut constituer une réponse à cet impératif de rapidité et d’immédiateté de satisfaction d’un besoin de formation. Plus informel qu’une session de formation traditionnelle (qu’elle soit digitale ou présentielle), il présente de nombreux atouts. Pour autant, il ne saurait être LA réponse à toutes les problématiques de formation, tant son format sied mieux à l’atteinte d’un objectif simple et opérationnel qu’à l’acquisition de compétences plus lourdes.
2.
Pourquoi vous allez être épris de court ?
Que celui qui n’a jamais été sur Youtube chercher un tuto pour réaliser une galette des rois ou une solution au problème de maths du petit dernier nous jette la première pierre. En quelques années, notre acculturation au digital nous a transformé en dénicheurs de micro-savoirs à même de résoudre une problématique immédiate. Dans cette optique, le microlearning présente de nombreux atouts tant pour les apprenants que pour les services formation.
Côté apprenant
Réponse à nos agendas surchargés, à notre difficulté à dégager du temps pour se former, le microlearning est un format qui s’adapte à l’emploi du temps de l’apprenant. L’infographie de Deloitte « Meet the modern learner » (à retrouver en conclusion) évalue à 1% d’une journée de travail, le temps qu’un collaborateur peut consacrer à sa montée en compétence. La courte durée des modules (en général pas plus de 5 minutes) et leur accessibilité sur tout device leur permettent de s’intercaler entre deux réunions, de se jouer dans les transports, de se consulter dans une salle d’attente avant un rendez-vous. Flexibilité donc !
Côté mémoire, il peut remettre à sa place le poisson rouge et assurer un ancrage mémoriel® pertinent dans la mesure où sa courte durée et son format souvent riche d’images et de son incitent à un visionnage plusieurs fois. De même le découpage en courtes séquences pédagogiques étalées dans le temps peut s’entendre comme une rapide révision des acquis, enrichie d’une notion nouvelle à chaque nouveau nugget. En effet, la courbe de l’oubli formalisée par Hermann Ebbinghaus à la fin du 19e Siècle, met en évidence la perte des informations au fil du temps en l’absence de piqûres de rappel sur une notion.
En revanche, comme identifié en bleu sur la courbe (les pointillés correspondant à la perte naturelle des informations au fil du temps), des rappels réguliers sur les trois premiers mois sont à même d’infléchir nettement la déclivité de la courbe dans le temps.
Le microlearning peut ainsi favoriser l’acquisition de connaissances dans la durée. En outre, sa courte durée s’accorde avec nos capacités attentionnelles qui, si l’on s’extrait de l’attention pure de 8 secondes quelque peu caricaturale de l’étude de Microsoft, pour considérer l’attention de façon plus large, ne dépasse guère 12 minutes sur une même tâche, abordée de la même façon.
Autre avantage, le just in time. L’accessibilité partout, tout le temps, l’indépendance des modules et la définition précise d’un micro-objectif pour chaque nugget en font un outil d’aide à la décision, à l’action, à l’argumentation avant un rendez vous client, lors de l’application d’une procédure de sécurité, en permettant à l’apprenant d’aller directement à l’essentiel, en situation de travail. Il n’y a donc potentiellement pas de rupture entre l’activité opérationnelle du collaborateur et la situation de formation.
Enfin, le microlearning encourage l’autonomie et la responsabilisation de l’apprenant dans ses apprentissages. L’indépendance des modules, leur libre accès à tout moment laisse la liberté d’aller piocher dans une bibliothèque de modules, au gré des besoins émergeant au quotidien.
Côté service formation
Le microlearning modifie profondément la façon de dispenser des formations dans la mesure où les apprentissages peuvent être intégrés à la vie courante de l’apprenant.
De plus, rapide à produire et à déployer, le microlearning permet un reporting fin et individualisé du parcours de chaque apprenant : le nombre de visualisations de chaque module, le moment d’utilisation dans la journée ou hors temps de travail constituent des données pour ajuster le parcours ou développer des compléments. Un système de notation des modules du type « Ce module vous a-t-il été utile ? » avec une échelle de notation de 1 à 4 par exemple est également un indicateur intéressant pour le service formation.
Le microlearning constitue en outre une solution efficace et moins onéreuse de mise à jour des connaissances des collaborateurs sur des points spécifiques (ajout d’une fonctionnalité dans un outil, nouvelle procédure interne… ).
3.
C’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… bien des choses en somme…
Le microlearning n’a pas forcément vocation à se substituer à un parcours complet de formation. Il pourrait alors être à la formation ce que le complément alimentaire est à la bonne hygiène de vie : un soutient, une réponse à court terme, un renforcement. Vous manquez ponctuellement de fer ? Au lieu d’ingérer des mètres de boudin noir ad nauseam, mieux vaut sans doute, prendre une petite pilule pendant quelques jours. La réponse est immédiate et souvent très efficace… à court terme. Mais si votre alimentation quotidienne ne contient pas assez d’aliments riches en fer, le problème risque de se reposer. Le microlearning a ainsi tout intérêt à être inclus dans un écosystème pédagogique plurimodal et riche.
Pour éviter de franchir la frontière qui sépare la formation de la simple information, les modules de microlearning doivent être conçus dans une ingénierie pédagogique globale et structurée. L’indépendance des modules ne doit toutefois pas nuire à une cohérence globale répondant à l’atteinte d’un objectif pédagogique subdivisé en micro-objectifs. La scénarisation doit tenir compte du moment de diffusion le plus approprié pour maximiser les chances d’atteindre l’objectif.
Côté conception des contenus, le style doit être sobre et le vocabulaire précis et dépouillé de tout le superflu stylistique souvent plaisant pour le rédacteur mais potentiellement perturbateur pour l’apprenant. Il n’en demeure pas moins que les ressources présentées doivent être percutantes pour retenir l’attention. C’est aujourd’hui le défi proposé par exemple aux doctorants qui doivent présenter leur thèse en 180 secondes. Au menu de leur prestation : du percutant, de la métaphore, de l’analogie, bref tout ce qui peut, nous raccrocher, nous, pauvres béotiens, à un élément qui nous parle, voire qui nous interpelle.
Un exemple de présentation de thèse en 180 secondes par Thibaut Souilliart, 1er prix au concours 2017 :
Le concepteur pédagogique devra peut être s’entraîner à « pitcher les savoirs » en 180 secondes ou en 280 caractères twitter.
4.
Et concrètement ? Stp dessine moi un nugget !
Un module de microlearning peut prendre de multiples formes. La créativité est de mise tant que le format respecte l’impératif de concision, d’accessibilité et une définition claire de l’objectif de chaque module.
La vidéo de moins de 5 minutes est naturellement le format le plus évident et le plus utilisé. Engageant et animé, il répond à tous les critères pour mettre en relief une notion précise.
Plus inattendu, l’économiseur d’écran peut présenter à chaque nouvelle connexion de l’utilisateur, une activité pédagogique sous forme de QCM, de courtes énigmes à résoudre. Par exemple, la connexion de l’ordinateur peut être liée à la lecture d’une consigne relative à la sécurité informatique suivie de deux questions à choix multiples et d’un feedback rappelant le message.
Un test d’ordonnancement d’affirmations vraies de la plus importante à la moins importante envoyé par sms peut faciliter l’acquisition des bonnes pratiques de gestion de la relation client. Un classement des apprenants au terme de chaque semaine permet en outre d’utiliser quelques éléments de gamification dans le processus pour inciter à la consultation.
Des check lists en complément d’une formation antérieure, adressées par mail ou par sms, peuvent reprendre, pas à pas sur les semaines précédant les entretiens professionnels, l’ensemble de points à aborder avec ses collaborateurs.
Prendre prétexte d’un sondage par semaine sur l’utilisation des nouvelles fonctionnalités d’un outil de gestion des absences, peut engager l’apprenant. Celui-ci se sent valorisé et c’est alors l’occasion de rappeler les modalités d’utilisation du nouvel outil ou de la nouvelle version de l’outil.
L’on pourrait multiplier les exemples à l’infini tant les modalités sont nombreuses et n’ont de limites que l’imagination des concepteurs pédagogiques.
L’apprenant moderne : un plaidoyer pour le microlearning
Au-delà des 1% de temps hebdomadaire disponible pour se former, aux termes de l’infographie réalisée par Deloitte, notre acculturation digitale plaide désormais pour les formats courts et concis, accessibles en just-in-time, directement utilisables dans une situation de travail :
- le designer d’interfaces n’a pas plus de 5 à 10 secondes pour capter l’attention de sa cible ;
- nous consultons notre smartphone en moyenne 9 fois par heure ;
- un collaborateur est interrompu toutes les 5 minutes environ dans son travail par des sollicitations professionnelles ;
- la plupart des apprenants décrochent au bout de 4 minutes de vidéos ;
- nous allons chercher des réponses à nos questions en dehors des sources d’information et de formation traditionnelles et de façon générale nous les cherchons via notre smartphone ;
- notre montée en compétences passe essentiellement par des échanges avec nos pairs, nos équipes, nos managers.
En tant que modalité pédagogique à part entière, le microlearning correspond parfaitement à la définition de l’apprentissage d’Idriss Aberkane, chercheur français spécialiste de la connaissance et de neurosciences : « l’apprentissage est de l’attention par unité de temps » .
Reste aux pédagogues et responsables de formation à séquencer les nuggets learning dans une cartographie globale de connaissances à même de créer des passerelles et de la cohérence entre les différentes ressources pédagogiques d’un parcours de formation finement architecturé, mixant microlearning, modules plus étoffés selon les besoins, classes virtuelles, tutorat synchrone et asynchrone et travail collaboratif.