1. Dessine-moi le Metavers

2. Le tourisme spatial a une longueur d’avance

3. Le guide du routard comme parcours de formation ?

A SUIVRE…

2021, le travail hybride s’est installé. Continuum de 2020, l’open space a cassé ses murs. Les organisations ont ouvert des fenêtres spatio-temporelles collaboratives dans Zoom et Teams. Les salariés ont pris l’habitude de s’interpeller sur Slack. C’est dans ce contexte qu’en fin 2021, Marc Zuckerberg annonce l’avènement de Meta, le nouveau Facebook qui portera la création d’un univers virtuel parallèle : un Metavers (Me taverse en anglais).

« Vos appareils ne seront plus le centre de votre attention. Ils ne seront plus perçus comme des obstacles, mais vous donneront un sentiment de présence lors de vos expériences et avec les personnes qui vous entourent. » Marc Zuckerberg, octobre 2021

1972 : lancement de Pong, premier jeu vidéo réellement populaire

Présence, interactions, attention centrée sur l’objectif et transparence de la technologie… Autant d’éléments qui résonnent en digital learning. La réalité virtuelle en formation a fait son apparition depuis quelques années déjà. Elle apporte une réponse à l’acquisition de méthodes, techniques, process, postures dans des environnements compliqués à recréer dans le monde réel (centrales nucléaires, chirurgie, manœuvres militaires…). Le Metavers pourrait-il optimiser la dimension sociale et le continuum pédagogique ?

Deux épisodes sinon rien !

Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons un éclairage sur les Metavers en deux épisodes. Après avoir planté le décor et envisagé le long chemin restant encore à parcourir avant de se former dans le Metavers, nous plongerons au cœur des potentialités cognitives et sociales d’un nouveau monde de l’Apprendre en devenir.

1.
Dessine-moi le Metavers

Contraction de Meta (du Grec « Au-delà ») et Univers, le Metavers est un monde virtuel dans lequel chacun se déplace, communique, collabore, joue, apprend au travers d’un avatar. Décrit ainsi, il est légitime de s’interroger :

« Quelle différence avec un jeu vidéo ou certains simulateurs utilisés en formation ? »

Il existe une multitude de définitions du Metavers. On peut citer 3 critères recensés par Matthieu Hauser, étudiant à l’École de Guerre économique, dans un article consacré aux enjeux de souveraineté de ces nouveaux mondes :

« Premier critère, le metaverse doit singer le monde réel. C’est-à-dire tenter de l’imiter mais sans en être une copie exhaustive ou réaliste. Un metaverse peut donc permettre aux utilisateurs d’évoluer dans des mondes fictifs ou avec des personnages fictifs, mais tout cela en gardant une partie des codes du monde réel.
Deuxième critère, le metaverse est accessible par un moyen informatique de façon rapide et intuitive (smartphone, ordinateur, télévision…).
Troisième critère, le metaverse est persistant, c’est-à-dire que ce monde alternatif existe de manière continue, comme le monde réel. Quand un utilisateur se déconnecte, le metaverse continue d’évoluer sans lui. C’est sans doute le critère le plus important, puisqu’il crée une addiction et une adhésion de masse, en provoquant un effet FOMO (Fear Of Missing Out, littéralement la peur de manquer quelque chose) : l’utilisateur reste connecté ou se reconnecte régulièrement, car il a peur de manquer quelque chose lors de ses absences. »

Contrairement aux jeux, aux divers simulateurs de réalité virtuelle, ce monde virtuel est donc infini et permanent. Les jeux vidéo, les simulateurs, les expériences de réalité virtuelle forment un écosystème fermé, physiquement et temporellement borné.

Le Metavers annoncerait-il une révolution copernicienne ? Chaque territoire virtuel du Metavers graviterait alors au sein d’un univers en expansion, autour d’une étoile algorithmique qui en régirait la vie.

Accessible en temps réel, le bouton pause n’existe plus : que l’internaute soit connecté ou non, le Metavers ne connaît pas de temps mort. D’où sa qualification d’univers persistant. Cette persistance constitue également un critère différenciant majeur avec les simulateurs et la réalité virtuelle telle qu’utilisée aujourd’hui.

Ce nouveau monde bâtit ses propres règles : des crypto-monnaies et des NFT (non fungible tokens) pour soutenir une économie virtualisée, la blockchain pour authentifier les actes, les échanges, les identités, la propriété…

Une vision du Metavers par Marc Zuckerberg en un peu plus de 6 minutes (anglais sous-titré), à l’occasion du lancement de sa nouvelle marque Meta, dédiée à la création d’un Metavers. Notons que l’apprentissage y est cité comme une des activités accessibles.

Les tentatives de Metavers ne datent pas d’aujourd’hui. En 2003, Second Life avait pour ambition de créer un monde parallèle virtuel. Les freins technologiques étaient alors encore importants et créaient une complexité qui a eu raison de la persistance de Second Life à partir de 2007. Second Life n’a pas disparu mais est devenu confidentiel. L’essor de ces concurrents pourra-t-il relancer l’intérêt pour ce pionnier du Metavers ?

Aujourd’hui, il existe donc d’autres Metavers en construction, certains bien plus avancés que celui de Marc Zuckerberg. The Sandbox ou Decentraland sont les plus connus. Force est de constater à date que l’univers ouvert, promesse du Metavers, se résume encore en une juxtaposition de mondes clos, érigés par des entreprises qui marquent leur territoire par une absence d’interopérabilité farouche.

« La téléportation dans le métavers sera aussi simple que de cliquer sur un lien en ligne. Ce sera une norme ouverte. Pour libérer le potentiel du métavers, l’interopérabilité est essentielle. » Marc Zuckerberg, octobre 2021.
Un vœu pieux ? Aujourd’hui impossible de parler du Metavers mais plutôt d’initiatives plus ou moins avancées des Metavers.

L’enjeu actuel est d’attirer des entreprises, des start-up, des artistes pour construire des infrastructures et attirer des visiteurs au-delà des afficionados des jeux vidéo massivement multi-joueurs.

Pour mettre quelques images sur des mots, le film Ready player one, sorti en 2018, donne une vision d’un Metavers entre dystopie et jardin d’Eden. Les premières minutes du film (en VF) ici :

Côté formation, il existe encore très peu de projections de l’apport des Metavers dans l’apprentissage. Nous vous proposons ici de passer en revue quelques limites des univers virtuels persistants en pédagogie. Nous aborderons ses potentiels atouts dans le prochain numéro.

2.
Le tourisme spatial a une longueur d’avance

Le digital learning s’est affranchi des contraintes spatio-temporelles de la formation présentielle. Les Metavers ont vocation à recréer des espaces-temps virtuels, des environnements d’expérimentations, des temples de la connaissance peut-être. Comme pour les visios, les univers de réalité virtuelle ou les serious game, l’accessibilité partout, tout le temps est un avantage incomparable à l’heure où le télétravail et la distanciation s’installent de façon pérenne dans nos modes d’organisation du travail.

A ceci près toutefois que, tout comme les solutions technologiques de visios, environnements immersifs, serious game, ils nécessitent un investissement d’implémentation et de licences. Les premiers Metavers voient actuellement se construire un marché immobilier virtuel spéculatif dont les prix sont en train de flamber. Reviendrait-on, avec cet univers parallèle, à une logique présentielle où la rentabilité passe aussi par la capacité des entreprises, organismes de formation à remplir des salles et rentabiliser des mètres carrés, quelle que soit la forme de ces nouvelles salles 3.0 ?

Pour la petite histoire, en décembre 2021, l’entreprise newyorkaise Republic Realm a acquis un terrain virtuel dans le Metavers The Sandbox pour un montant de 4,3 millions de dollars. Dans un univers où l’unité de mesure n’est plus le mètre carré mais le pixel et la bande passante, difficile de se construire une échelle de prix. Un mois auparavant, sur le Metavers Decentraland, le spécialiste canadien des Crypto-monnaies Tokens.com s’était offert un emplacement pour 2,4 millions de dollars. Plus proche de notre réalité quotidienne, le groupe Carrefrour a annoncé en janvier 2022 avoir acquis 36 hectares de terrain dans The Sandbox pour un peu moins de 300 000 euros.

Après avoir acheté ou loué des m2 dans des zones stratégiques en termes d’accessibilité physique pour y former en présentiel, entreprises et organismes de formation vont-ils devoir louer des espaces virtuels dans le Metavers ? Si oui, à quel prix ? Et pour les plus hardis, rappelons que le droit français ne reconnaît pas, pour l’heure, la propriété dans un Metavers.

En décembre 2021, la librairie sud-coréenne Kyobo book center a ouvert une enseigne virtuelle dans Meta, baptisée Metabooks. Révolutionnaire ? Metabooks a simplement numérisé sa librairie physique avec une caméra à 360°. Tous les articles y sont accessibles par un clic. Le nouveau monde ressemble encore nettement à l’ancien. L’histoire ne donne pas le montant de la transaction financière.

On peut légitimement se poser la question à court et moyen terme de l’apport d’un espace privé de formation dans le Metavers. D’autant que pour une expérience enrichie par rapport à un simulateur il faudrait ajouter un retour haptique (on connaît tout l’apport d’un engagement du corps dans l’apprentissage), pourquoi pas une expérience olfactive (on sait que l’odorat est un sens très important en matière d’émotion et de mémorisation). Ces équipements dignes du film Ready player one ne sont pas encore prêts. Et s’ils étaient disponibles demain, à quel prix le seraient-ils ? Sans parler des lunettes de réalité virtuelle, déjà disponibles mais d’une diffusion encore confidentielle.

Quant à l’appropriation par le grand public, on en parle ? Marc Zuckerberg a pris soin de conjuguer au futur son ambition : « vos appareils ne seront plus le centre de votre attention. Ils ne seront plus perçus comme des obstacles… »

On le voit l’enjeu d’infrastructure est lourd et la démocratisation du voyage dans le nouveau monde 3.0 pourrait s’avérer un long périple. De façon tout à fait paradoxale, le tourisme spatial a une longueur d’avance sur la learning expedition dans le Metavers.

3.
Le guide du routard comme parcours de formation ?

Si les infrastructures sont lourdes et balbutiantes, que dire de la pédagogie et des parcours de formation distanciels tels qu’on peut les concevoir aujourd’hui ? On l’a vu, la transformation sans re-conception ni ré-ingénierie des formations présentielles, en 100% distanciel synchrone, durant la crise sanitaire n’a pas été très concluante. L’engagement de l’apprenant n’était pas au rendez-vous. Le format trop long a découragé les plus motivés.

Scénariser un parcours dans le Metavers, ce pourrait être permettre à l’apprenant de sortir du cadre du simulateur, parcourir le nouveau monde, échanger, créer du contenu. Si créer du contenu et des mises en situation dans le Metaverse revient à délivrer du savoir en vidéo, des slides de synthèses, des quiz formatifs et sommatifs, l’apprenant a-t-il réellement besoin de faire le voyage, si ce n’est pour afficher fièrement sur Instagram la photo de son avatar dans le nouveau monde ?

Si en revanche le parcours revient à guider l’apprenant vers une construction autonome ou une co-construction collaborative, de ses savoirs, savoir-faire et savoir-être, au détour de rencontres et de mises en situation dans tous les lieux de connaissances et d’expérimentation qui verront peut-être le jour dans le Metavers, pourquoi pas. Inviter l’apprenant à produire des livrables, des retours d’expérience de son périple d’apprentissage.

A partir des productions d’une promotion de retour de sa learning expedition, bâtir des scénarios personnalisés de transfert en situation réelle de travail ? Puis programmer un retour dans le Metavers pour rejouer les situations, bénéficier d’une analyse par les pairs, par d’autres voyageurs de l’Apprendre et par l’expert formateur ?

Envisager le rôle de l’équipe pédagogique comme un tour operator de l’acquisition de compétences pose toutefois quelques questions quant à la cartographie des ressources disponibles ou à la curation, à la propriété de ces ressources et aux droits d’usages associés, avec un modèle économique sans doute à revoir.

Pour la partie création de ressources propres à l’équipe pédagogique, la capacité à créer des objets 3D est encore difficile et consommatrice de nombreux jours/hommes de spécialistes (même si des univers comme Minecraft ont ouvert la voie de création de lieux et de moments par les internautes). L’outil auteur du Metavers pour le concepteur pédagogique n’est pas encore en gestation.

Et pour l’équipe formation restée sur la terre ferme et réelle dans son bureau ? Comment suivre le « skill trip » de son collaborateur ? L’interopérabilité entre les LMS, les différentes applications, les portails est toujours un sujet, alors avec le metavers… Des check points formations dans le nouveau monde virtuel en adaptant et en enrichissant le tracking de l’informel sur un modèle évolué d’xAPI ? De nouvelles normes applicables à nombres d’activités et non simplement au digital learning ? Des cookies nouvelle génération à déguster sur le dashboard de son centre de commande dans le Metavers pour le Responsable formation, le tuteur, le formateur ?

Et le DSI (directeur des services informatiques), le DPP (délégué à la protection des données), le schéma directeur informatique, véritables Christophe Colomb des temps modernes, tétanisés de ramener un virus inconnu dans leurs serveurs, d’offrir les données de leurs collaborateurs sans même s’en rendre compte, de livrer les secrets de fabrication sur la place publique virtualisée ? Quelles garanties, quelles protections ?

A SUIVRE…

Les Metavers sont balbutiants. Le chemin sera long avant la terre promise. Dans le prochain numéro du Mag, nous tenterons d’imaginer les gains pour l’apprenant en termes d’interactions sociales et de métacognition.